J’écoutais cette semaine la vidéo d’Isabelle Padovani Je ne suis pas une girafe, et je goûtais particulièrement l’expression « Laisser pisser le chacal ». Dans mes mots à moi, ça revient à dire que les parties de nous, tout comme les personnes en chair et en os, n’ont parfois nullement envie de se faire dire « Est-ce que tu te sens… parce que tu as besoin de… ». Elles ont seulement besoin de s’exprimer, dans la liberté d’être! N’y a-t-il pas effectivement quelque chose de réjouissant et de libérateur à se laisser dire toutes les énormités et les jugements qui nous habitent par rapport à une situation (quand on le fait dans un contexte qui honore nos aspirations au respect et à la sécurité, donc pas directement aux personnes concernées!)?

Donc, aujourd’hui, j’ai beaucoup de joie à partager un petit chacal un peu irrité! (Mais si peu, au fond… sachez que mes chacals sont en général autrement violents. C’est juste que ceux-là, je les laisse s’exprimer dans des lieux plus sûrs que le Grand Méchant Web.)

* * *

Je ne sais pas pour vous, mais parfois je soupire d’exaspération en entendant des formules toutes faites, que ce soit dans les répliques d’un film, dans les conversations de la vie de tous les jours ou dans les messages publicitaires.

Je suis agacée d’entendre « brailler sa vie » ou « danser sa vie» dès que c’est un peu intense. C’est comme crier au loup : à force d’intensité systématique, je n’y crois plus.

Je lisais tantôt sur une pub : « Vos enfants s’amuseront follement tout en apprenant! »

Ça ne vous donne pas envie de vomir? Est-ce qu’on ne peut pas juste laisser les enfants s’amuser, point? Ou s’emmerder, de temps en temps? Ça me rejoindrait plus, une pub qui dirait : « C’est un genre de jeu. Genre pas pire. » Ça suffit de s’injecter du rose bonbon à chaque séance d’annonces! Heureusement pour moi, je n’ai pas la télé!

Avec le temps des Fêtes, il y a de cette surenchère d’impératifs… Il faut vivre la magie, il faut célébrer avec ceux qu’on aime, il faut retrouver le vrai sens des Fêtes, alouette!

Ça donne juste envie d’aller m’enfermer dans une cabane au fond du bois. Ou à tout le moins de me coucher à 21h tous les soirs jusqu’à la Saint-Valentin, sans faire aucun effort de célébration.

Parce que pour vivre de la magie, il faut un terrain propice. Peut-être même un peu d’ennui. Quelque chose de sainement plate, qui fait que quand quelque chose se met à briller, ça crée en nous un réel émoi.

Pas un mouvement un peu forcé d’une partie de nous qui se dit qu’il faudrait bien qu’elle s’émerveille, en ce moment, parce que si elle était dans un film d’Hollywood, il y aurait à ce moment-là une musique et une réplique touchantes…

Bref, dans un monde de surstimulation, la tranquillité a quelque chose de magique, par contraste. Non?

Soyons plates! Ennuyons-nous! Après, on pourra peut-être commencer à s'amuser pour vrai.

Dans un moment où je vivais un malaise généralisé, j’ai cherché à établir les faits déclencheurs. J’arrivais surtout à des « faits » en « ne pas » : plusieurs personnes, tant dans ma vie personnelle que professionnelle, n’avaient pas répondu à un message de ma part (courriel, téléphonique ou texto). Si j’établissais uniquement des faits positifs, j’obtenais la liste des messages que j’avais envoyés. Sans plus.

Toutes les « absences de réponse » signalaient en fait mon attente d’une stratégie particulière. Le rêve de quelque chose qui nourrirait mes besoins. Oui, pour chaque message envoyé, il y avait un attachement plus ou moins fort à la stratégie « réponse de l’autre » pour nourrir des besoins parfois de clarté, parfois de confiance ou de sécurité, de lien ou, disons-le, d’amour !

En me rendant compte de cela, en constatant l’attachement parfois intense à une stratégie particulière, et en revenant aux besoins sous-jacents 100 % chez moi, je pouvais faire un peu de place et détourner mon attention de « l’autre qui ne répond pas » pour regarder quelles demandes je pouvais faire (à moi ou aux autres) pour m’occuper de mes besoins.

Je pouvais relancer certaines des personnes, en mentionnant quel besoin serait comblé par une réponse de leur part. Par exemple, si c’était à une personne qui fait de la CNV ou qui peut tolérer le « langage girafe classique » : « Salut ! Je me rends compte qu’une réponse de ta part à ma proposition de rendez-vous téléphonique nourrirait vraiment en moi la clarté et la confiance. Aurais-tu l’élan de me revenir là-dessus aujourd’hui ? » OU, en des mots de « girafe de rue » : « Salut, je me rends compte que ça m’aiderait à voir clair si tu me revenais sur ma proposition de rendez-vous téléphonique. Pourrais-tu juste me dire aujourd’hui si ça marche pour toi ? »

Ici, le point important, c’est que la demande, en CNV, est OUVERTE. Donc négociable. Donc, ça se peut que l’autre ne soit pas en mesure d’y répondre, que pour toutes sortes de raisons liées à ses besoins 100 % chez lui, il ne réponde pas plus à cette relance qu’à mon courriel initial. Je peux choisir, dans l’intention de vivre plus de connexion, de l’appeler au lieu de lui écrire. Mais s’il ne répond pas ?

Je fais quoi, avec mes besoins de collaboration, de confiance, de connexion, de sécurité, de lien, d’amour ? Justement : quels moyens autres que « réponse de l’autre » puis-je mettre en place pour m’occuper de mes besoins ? À ce moment-là, les parts de moi ont souvent un grand besoin d’empathie, pour faire le deuil de leur stratégie préférée. Et quand l’émotion est intense devant une absence de réponse de l’autre, ça me signale que ce sont de très vieilles blessures, très douloureuses, qui sont stimulées ; et que ces parts de moi ont un grand besoin de soins, de douceur, de soutien et de respect. Elles ont besoin qu’on prenne la mesure de leur douleur.

En dirigeant mon attention vers mes besoins et en prenant des mesures concrètes pour les nourrir (par exemple demander de l’empathie à d’autres personnes, une ressource professionnelle s’il le faut, écrire dans mon journal, faire une promenade en nature, prendre un bain chaud, utiliser les outils que je connais pour revenir à la présence), je reprends le pouvoir sur ma vie. Et c’est comme si ça libérait le canal entre moi et l’autre...

Car je ne sais pas pour vous, mais moi, quand je suis dans l’attente, je ne reçois pas ce que j’attends. C’est comme si l’attente, c’était carrément du besoin en manque. Du besoin qui exige de l’autre quelque chose (même en silence, même à des kilomètres de distance !). Et l’exigence, ça ne suscite pas l’élan du cœur. Quand je nourris mes besoins autrement, souvent l’autre personne se manifeste, comme si elle avait alors de la place pour le faire librement.

Si ça vous interpelle, je vous recommande cet article sur les caractéristiques des demandes CNV. Un art à exercer pour rendre nos vies plus merveilleuses !

J’étais furieuse après l’appel d’une certaine personne avec qui j’ai une relation d’affaires distante. Elle s’occupait pour moi de quelque chose avec une telle diligence qu’elle avait raccroché... trop vite au goût de mes chacals. L’un d’eux se disait: « Elle a raccroché avant que j’aie eu le temps de parler! » et les autres enchaînaient avec une suite de paroles peu flatteuses à son égard et d’affirmations du genre: « Je ne me laisserai pas traiter comme ça! » En plus, disaient les chacals, elle avait commencé l’appel sans dire bonjour, en me posant tout de suite sa question!

Cette fois-là, j’ai vu que j’avais le choix d’embarquer dans le train de la fureur, et j’ai eu la possibilité de le laisser passer. Je me suis demandé quels étaient les faits, au fond (1er élément du modèle de la Communication non violente: l’observation des faits).

« Cette personne a raccroché avant que j’aie eu le temps de parler ». Est-ce un fait? Hum... Une caméra ou un micro auraient capté quoi? Mon téléphone a enregistré qu’il y avait eu un appel de 47 secondes. Voilà le fait. « Elle a commencé l’appel sans me dire bonjour »? Le fait: elle a commencé l’appel en me posant sa question. Le reste, ce sont des interprétations, les récriminations de chacals en colère dont les besoins ne sont pas nourris dans la situation (2e et 3e éléments de la CNV: les sentiments et les besoins en cause). Déjà, rétablir les faits dégonfle la colère, très bien alimentée par les histoires que je me racontais.

Cette colère, elle signalait quels besoins? Empathie, avoir une place, espace, simplement être, connexion.

Au fond, les expressions « sans » et « avant que » indiquaient mes attentes, et non des faits. Qui sont ni plus ni moins mes stratégies préférées pour répondre à ces besoins. Ma préférence est nette : une conversation avec des allers-retours, chacun qui parle à son tour, des moments de silence pour ressentir ce qui se passe. S’agissait-il d’une attente réaliste avec la personne en cause dans cette histoire: non.

Alors j’avais un humble choix à faire: celui de renoncer à l’histoire que je me racontais, à savoir que j’avais été offensée, de renoncer à croire que j’avais raison et l’autre tort; ou de continuer à croire que ces chacals, qui vivaient une forte intensité de colère envers l’autre, ils étaient « moi ».

Cette fois-là, j’ai pu choisir ce changement de perception suscité par l’observation des faits, de mes sentiments, de mes besoins et de mes stratégies préférées. J’étais complètement apaisée.

Et le quatrième élément de la CNV? Une demande concrète, réaliste, positive, précise et ouverte (c’est-à-dire négociable, au contraire d’une exigence). Dans cette situation, j’ai choisi sur l’instant de ne pas faire de demande à l’autre personne. Je me suis plutôt invitée moi-même à voir qu’elle n’était pas alors en mesure de répondre à mes besoins d’empathie, qu’elle ne faisait rien "contre moi", qu’elle tentait seulement, de son mieux, de répondre à ses besoins. Un changement de perspective qui a nourri ma sécurité, la cohérence avec mes valeurs, le besoin d’avoir du pouvoir sur ma vie. Ça m’a désidentifiée de la partie de moi dont le comportement s’apparentait à insister pour commander un smoothie vert bio dans une cantine à patates: ça ne fait pas partie de son menu, le propriétaire n’en a peut-être jamais entendu parler — stratégie vouée à l’échec. Mieux vaut accepter un sandwich aux tomates ou choisir un autre restaurant!

Mais encore, la CNV m’enseigne que je peux être créative, qu’il y a un infinité de stratégies (des demandes à moi ou à l’autre) que je peux proposer pour cocréer avec les autres un monde satisfaisant. Je peux choisir de communiquer avec cette personne uniquement par courriel ou mettre fin à ce lien d’affaires... ou oser mettre sur le tapis le sujet de la communication? Maintenant que j’ai désintriqué le besoin et la stratégie, depuis cet espace de liberté où j’invite l’autre personne à vivre avec moi plus d’empathie, d’espace, d’écoute, je pourrais lui demander un petit quelque chose de précis, par exemple: « Pour que j’aie une place dans l’échange, seriez-vous d’accord, lors de nos conversations, avant de raccrocher, pour me demander si j’ai quelque chose à ajouter? »

C’est l’extraordinaire pouvoir de la demande: assumer la responsabilité de ma vie, me manifester à l’autre dans la relation en proposant quelque chose qui me rendrait la vie plus merveilleuse. Parce que les cantines, si on leur en fait la proposition, offriront peut-être un jour des smoothies vert bio en plus des bonnes patates graisseuses! Pourquoi pas?