Quand on a quelque chose à exprimer ou à demander à quelqu’un, surtout s’il y a quelques tensions dans l’air, la concision est un atout très précieux. En disant seulement un petit bout de message à la fois, on peut aller vérifier à mesure 1) ce que l’autre a compris de notre message et 2) ce qui se passe chez l’autre, ce que ça lui fait (et s’il a de l’ouverture pour entendre la suite).

La demande de reformulation

— Pour être certaine que j’ai bien réussi à exprimer ce que j’essayais de dire, j’aimerais bien que tu me dises dans tes mots ce que tu as entendu... Accepterais-tu de le faire ?

Demander à notre interlocuteur de reformuler ce qu’il a compris est une pratique (peu habituelle, je l’admets) qui présente beaucoup d’avantages : on s’assure ainsi qu’on parle bien de la même chose, et on peut se réaligner si l’autre a perçu ce qu’on cherchait à cacher plutôt que ce qu’on souhaitait vraiment dire...

Je veux dire par là qu’il arrive souvent que sans en être conscient, on ait encore un « chacal » qui a besoin d’empathie. Alors même si on dit de beaux mots, ce qui passe, c’est l’accusation que porte cette partie de nous qui prend le dessus malgré nous. Par exemple, je pourrais dire à une personne avec qui j’habite :

— Je me sens mal à l’aise quand je vois la vaisselle sale sur le comptoir depuis hier matin parce que j’ai besoin de paix d’esprit.

Donc, si j’arrête après ce petit bout pour lui demander de reformuler ce qu’elle a entendu, il y a de bonnes chances qu’elle me dise quelque chose comme :

– J’ai entendu que tu es frustrée à cause de la vaisselle !

Le « besoin de paix d’esprit » que je nommais n’a pas passé, mais plutôt mon reproche qui implique que l’autre personne est la cause de ma colère. De toute évidence, je n’ai pas touché à mon besoin, parce que quand j’y touche vraiment, la tension s’apaise et je peux offrir à l’autre le trésor de ma prise de conscience sans l’accuser de quoi que ce soit. Donc, j’ai encore besoin d’empathie, et le fait d’entendre l’autre me reformuler dans ses mots ce que je lui ai dit, ça m’en donne déjà un peu.

Un cran plus honnête

En recevant de l’empathie (et ma capacité d’empathie, comme celle de mon interlocuteur, varie beaucoup selon les moments), je peux espérer devenir un peu moins identifiée à mon chacal qui croit encore profondément que l’autre a objectivement et simplement tort, et faire une expression un cran plus honnête :

— Oui, c’est vrai que je suis frustrée. Et quand je vois dans quel état de colère je me mets par rapport à la vaisselle, je me sens assez découragée. Au fond, j’ai vraiment besoin d’empathie.

Plus vulnérable aussi, n’est-ce pas ? C’est dans cet espace de vulnérabilité qu’on a une chance de se rejoindre avant de parler de solutions concrètes, avant de faire des ententes qui tiendront en compte les besoins des deux personnes.

La demande de connexion

Je gagne à garder ça bref et à aller voir, grâce à ce qu’on appelle en CNV une « demande de connexion », ce qui se passe chez l’autre quand elle entend ça, pour faire de la place à ses sentiments et à ses besoins :

— Ça te fait quoi, quand tu entends ça ?

Et là, je prépare mes oreilles de girafe, parce que l’autre peut être touchée et ouverte (car nourrie dans son besoin de connexion, par exemple), comme elle peut être déclenchée et vivre une réaction de type « émotion désagréable » (ayant elle-même besoin d’empathie). Je respire, je fais de mon mieux pour rester présente et faire appel à la curiosité bienveillante pour me relier aux émotions et aux besoins de l’autre.

Je ne suis pas pour le moment une ceinture noire en CNV. Ça prend souvent plusieurs allers-retours pour arriver à connecter vraiment. Et c’est dans cette danse, en m’exerçant à utiliser mes oreilles de girafe vers moi et vers l’autre, que le lien peut se construire, dans l’humilité de cette authenticité encore maladroite et teintée de chacals déguisés en girafes. Peu de mots à la fois, pour me réaligner à mesure et m’assurer que je danse bien avec l’autre.

Car voilà la conscience à laquelle nous invite la Communication non violente, celle de notre interdépendance : la satisfaction de mes besoins sera plus complète si ceux de mon interlocuteur sont aussi pris en compte.

(2e article d’une série sur les avantages de la concision)

La première question à se poser lorsqu’on veut faire consciemment usage de la parole, particulièrement lorsqu’il y a une certaine charge émotionnelle en nous : « Quelle est mon intention? »

Si la réponse qui monte spontanément ressemble à : « Mon intention est de lui faire comprendre qu’il a tort! » ou « De lui faire savoir ma façon de penser! », il serait probablement favorable de me donner un peu d’empathie avant d’avoir un échange avec la personne concernée (bientôt un autre article sur des manières concrètes de le faire). Car au-delà de l’enjeu immédiat de mon insatisfaction, qu’est-ce que je veux vraiment? Les questions suivantes peuvent aider à déterminer mon intention :

Quelles qualités je veux retrouver dans mes relations ?

Quelles valeurs je veux  incarner?

Quelle saveur je veux donner à ma journée?

Une intention peut être résumée en un mot. Par exemple, je peux vouloir vivre de la confiance dans mes relations; vouloir incarner une valeur de respect; vouloir que ma journée se déroule dans la bonne humeur.

Confiance, respect, bonne humeur. Le simple fait de me relier mentalement à mon intention a un impact direct sur la suite de mes actions et de mes paroles. C’est selon moi là que commence réellement notre liberté.  La psychologie évolutionniste et les neurosciences nous expliquent désormais que c’est une façon de court-circuiter les réactions instinctives des structures anciennes de notre cerveau, conçues pour réagir rapidement aux menaces afin d’assurer notre survie. Nous relier à notre intention, c’est faire appel à un niveau d’intelligence plus récent, capable de nuances et d’adaptation.

Donc, si je suis au clair avec mon intention de confiance, de respect, de calme, je peux mobiliser mon énergie pour agir en conséquence, en commençant par respirer plus profondément pour me calmer et ensuite déterminer quels mots pourront établir des conditions gagnantes pour avoir ce que je veux vraiment.

La semaine prochaine : parler de façon concise pour être en mesure de vérifier l’impact chez notre interlocuteur.

Mes formateurs québécois de Communication Non Violente, qui ont personnellement étudié avec Marshall Rosenberg, le créateur du modèle, rapportent que ce dernier recommandait de limiter ses interventions à 40 mots.

40 mots !

Les avantages de la concision sont nombreux. Par exemple, parler brièvement :
1. Demande de ralentir pour revenir à notre intention, à ce qu’on veut vraiment ;
2. Permet de vérifier à mesure ce qui se passe chez notre interlocuteur pour s’assurer que la connexion est maintenue ;
3. Permet d’éviter la justification ;
4. Favorise des conversations où il y a de l’espace pour être, grâce au silence ;
5. Favorise la « parole émergente ».
6. Permet de voir ce qui sonne faux, là où on n’est pas 100 % honnête avec soi-même (ce que notre interlocuteur va percevoir d’une façon ou d’une autre).

Être concis, c'est communiquer le zeste de ce qu'on a à dire, l'essentiel!

J’explorerai ces différents avantages de la concision au cours des prochains articles.

Cela étant dit, tout est une question de contexte. Parler plus longuement peut être une stratégie efficace pour donner de l’empathie à nos « chacals », ces parties de nous qui sont chargées d’émotion et se manifestent par des voix dans notre tête qui ont généralement de nombreux mots à exprimer. Leurs histoires sont très importantes, puisqu’elles parlent de nos besoins. Les chacals ont besoin d’empathie, ils se calment quand on entend quels besoins les font crier (voir article sur les « chacals »).

Je suis personnellement une adepte de raconter sans censure ce qui m’habite, à une oreille empathique et, surtout, consentante ! (Je reviendrai dans un autre article sur les demandes claires d’empathie). Ouf, ça me donne vraiment de l’espace, du soutien pour retrouver la paix d’esprit.

Seulement, il y a des circonstances où laisser s’exprimer nos chacals ne crée pas le genre de lien qu’on veut avec les autres et avec soi-même. Comme lorsqu’une situation est tendue avec quelqu’un, ou qu’on veut faire une proposition dans une réunion ou une demande à un collègue, un patron, un employé. C’est là que l’exercice du choix conscient des paroles qu’on exprime peut faire toute une différence et nous donner plus de chance d’obtenir ce qu’on veut vraiment.

À suivre dans le prochain article qui portera sur l’intention !