J’étais furieuse après l’appel d’une certaine personne avec qui j’ai une relation d’affaires distante. Elle s’occupait pour moi de quelque chose avec une telle diligence qu’elle avait raccroché… trop vite au goût de mes chacals. L’un d’eux se disait: « Elle a raccroché avant que j’aie eu le temps de parler! » et les autres enchaînaient avec une suite de paroles peu flatteuses à son égard et d’affirmations du genre: « Je ne me laisserai pas traiter comme ça! » En plus, disaient les chacals, elle avait commencé l’appel sans dire bonjour, en me posant tout de suite sa question!

Cette fois-là, j’ai vu que j’avais le choix d’embarquer dans le train de la fureur, et j’ai eu la possibilité de le laisser passer. Je me suis demandé quels étaient les faits, au fond (1er élément du modèle de la Communication non violente: l’observation des faits).

« Cette personne a raccroché avant que j’aie eu le temps de parler ». Est-ce un fait? Hum… Une caméra ou un micro auraient capté quoi? Mon téléphone a enregistré qu’il y avait eu un appel de 47 secondes. Voilà le fait. « Elle a commencé l’appel sans me dire bonjour »? Le fait: elle a commencé l’appel en me posant sa question. Le reste, ce sont des interprétations, les récriminations de chacals en colère dont les besoins ne sont pas nourris dans la situation (2e et 3e éléments de la CNV: les sentiments et les besoins en cause). Déjà, rétablir les faits dégonfle la colère, très bien alimentée par les histoires que je me racontais.

Cette colère, elle signalait quels besoins? Empathie, avoir une place, espace, simplement être, connexion.

Au fond, les expressions « sans » et « avant que » indiquaient mes attentes, et non des faits. Qui sont ni plus ni moins mes stratégies préférées pour répondre à ces besoins. Ma préférence est nette : une conversation avec des allers-retours, chacun qui parle à son tour, des moments de silence pour ressentir ce qui se passe. S’agissait-il d’une attente réaliste avec la personne en cause dans cette histoire: non.

Alors j’avais un humble choix à faire: celui de renoncer à l’histoire que je me racontais, à savoir que j’avais été offensée, de renoncer à croire que j’avais raison et l’autre tort; ou de continuer à croire que ces chacals, qui vivaient une forte intensité de colère envers l’autre, ils étaient « moi ».

Cette fois-là, j’ai pu choisir ce changement de perception suscité par l’observation des faits, de mes sentiments, de mes besoins et de mes stratégies préférées. J’étais complètement apaisée.

Et le quatrième élément de la CNV? Une demande concrète, réaliste, positive, précise et ouverte (c’est-à-dire négociable, au contraire d’une exigence). Dans cette situation, j’ai choisi sur l’instant de ne pas faire de demande à l’autre personne. Je me suis plutôt invitée moi-même à voir qu’elle n’était pas alors en mesure de répondre à mes besoins d’empathie, qu’elle ne faisait rien “contre moi”, qu’elle tentait seulement, de son mieux, de répondre à ses besoins. Un changement de perspective qui a nourri ma sécurité, la cohérence avec mes valeurs, le besoin d’avoir du pouvoir sur ma vie. Ça m’a désidentifiée de la partie de moi dont le comportement s’apparentait à insister pour commander un smoothie vert bio dans une cantine à patates: ça ne fait pas partie de son menu, le propriétaire n’en a peut-être jamais entendu parler — stratégie vouée à l’échec. Mieux vaut accepter un sandwich aux tomates ou choisir un autre restaurant!

Mais encore, la CNV m’enseigne que je peux être créative, qu’il y a un infinité de stratégies (des demandes à moi ou à l’autre) que je peux proposer pour cocréer avec les autres un monde satisfaisant. Je peux choisir de communiquer avec cette personne uniquement par courriel ou mettre fin à ce lien d’affaires… ou oser mettre sur le tapis le sujet de la communication? Maintenant que j’ai désintriqué le besoin et la stratégie, depuis cet espace de liberté où j’invite l’autre personne à vivre avec moi plus d’empathie, d’espace, d’écoute, je pourrais lui demander un petit quelque chose de précis, par exemple: « Pour que j’aie une place dans l’échange, seriez-vous d’accord, lors de nos conversations, avant de raccrocher, pour me demander si j’ai quelque chose à ajouter? »

C’est l’extraordinaire pouvoir de la demande: assumer la responsabilité de ma vie, me manifester à l’autre dans la relation en proposant quelque chose qui me rendrait la vie plus merveilleuse. Parce que les cantines, si on leur en fait la proposition, offriront peut-être un jour des smoothies vert bio en plus des bonnes patates graisseuses! Pourquoi pas?

 

 

La posture empathique à laquelle nous invite la communication consciente repose sur une conviction importante : la personne en face de moi a toutes les ressources nécessaires pour répondre à ses besoins.

C’est lié de près à la distinction entre les besoins et les stratégies. Les besoins étant une traction vitale, une énergie vivante à l’intérieur de nous, ils ne dépendent ni d’une personne, ni d’un lieu, ni d’un objet (plusieurs formulations du langage courant telles que « j’ai besoin que tu fasses ceci », « j’ai besoin d’aller à la bibliothèque », « j’ai besoin de mon ordinateur », illustrent en fait des stratégies). Les besoins sont un carburant propre à nous propulser vers des moyens d’aller dans la direction de la saveur particulière de l’instant : affirmation, sécurité, sens, beauté, connexion, compréhension, solidarité, protection, etc.

Les stratégies pour répondre aux besoins sont illimitées.

Crédit photo: Valeria Boltneva de Pexels

Disons que devant une personne qui regarde ailleurs que vers moi, je me sens frustrée parce que cela ne nourrit pas mon besoin de connexion. Si je suis consciente que c’est ça qui se passe, je peux assumer la responsabilité de mon besoin en choisissant par exemple de :

  • me donner de l’empathie minute en me reliant à la part de moi qui vit cette frustration, qui a comme préférence d’échanger un regard avec l’autre (cette autoempathie nourrit déjà le besoin de connexion, connexion de moi à moi).
  • tenter d’établir le lien avec l’autre personne ; selon le contexte, en faisant une blague, en parlant de la température, en lui demandant ce qui se passe pour elle, en parlant de ce qui se passe pour moi, en la touchant, etc.
  • choisir de vivre de la connexion avec une autre personne (ou avec un animal) en passant un coup de téléphone, en allant dans un autre endroit, ou même en pensée, en me reliant à une figure bienveillante.
  • aller dans la nature pour goûter à mon interdépendance avec les autres éléments de l’écosystème, et ainsi vivre de la connexion.
  • etc.!

S’il est vrai que mon besoin ne dépend pas de l’autre, c’est aussi vrai pour la personne en face de moi. En posture empathique, je prends le parti de faire confiance que la personne en face de moi a toutes les ressources nécessaires pour répondre à ses besoins. Que la présence empathique que je peux offrir suffit à créer les conditions pour qu’elle accède à sa vérité et à ses ressources.

Ce qui veut dire que je n’essaie pas trouver une solution à « ses problèmes », ni même de lui montrer quels sont ses sentiments et ses besoins. La posture empathique implique que je ne suis pas en mode « je sais mieux que toi, je vais t’aider, je vais te montrer ». Je suis juste « avec » ce qui se déploie en l’autre, dans l’instant présent. Et quand un être humain reçoit ce type d’attention bienveillante, il a plus de chance de faire un bout de chemin vers la responsabilité et l’empowerment.

En terminant : la présence empathique n’est pas un « impératif moral » (du genre : « il faut adopter la posture empathique ! »). C’est simplement une possibilité qui ouvre des portes (« Les mots sont des fenêtres…. » comme dans le titre français du livre de Marshall Rosenberg). Une ressource à laquelle je choisis de revenir dès que j’en ai les moyens, parce que ça goûte l’espace, la sérénité, l’ouverture. Et quand je n’en ai pas les moyens : vite, une stratégie pour remplir ma bonbonne d’empathie !

Dans un monde qui valorise le dépassement de soi, l’expression « sortir de sa zone de confort » est passée dans le langage courant. Et si, pour pouvoir vivre l’expansion créatrice à laquelle on aspire, il fallait d’abord goûter à sa zone de sécurité ?

Julia Cameron, dans Libérez votre créativité, nous invite à considérer la partie créative de nous comme un petit enfant. Cette analogie fonctionne très bien pour moi. En fait, ce n’est pas de l’abstraction, c’est une réalité énergétique. Je la sens, cette petite en moi, qui trouve plein de choses très intéressantes, très drôles. Qui a envie de s’amuser, de jouer. C’est elle qui s’est mise à vibrer de joie quand j’ai vu l’annonce du cours d’acrobatie et trampoline à l’école de cirque. Je conçois très bien que ce soit elle qui fournisse l’énergie pour dessiner, écrire des histoires, chanter, danser…

Et parfois – souvent ! — elle a peur.

Il est intrigant, ce monde, mais il est aussi effrayant. Et il y a toutes sortes de choses qui arrivent, quand on se lance à faire de nouvelles choses ou qu’on montre aux autres nos « beaux dessins » : de l’indifférence, des critiques, des refus, de l’incompréhension. Quand je prends des cours de trapèze ou d’acrobatie, je ne suis pas vraiment « bonne ». Je ne suis qu’une débutante, alors que mon artiste, elle, aimerait dès le premier cours se qualifier pour le Mondial de gymnastique ! Même chose pour l’écriture : j’ai mis des années à sortir mon premier roman, parce que ça devait être le prix Nobel ou rien ! Le test de la réalité peut être un choc, surtout quand l’enfant intérieur a été refoulé, qu’il a beaucoup rêvé, mais peu expérimenté. Alors, comme un escargot dont on touche les antennes, il se recroqueville. Et c’est très important d’avoir une coquille où digérer ces nouvelles informations qui stimulent beaucoup sa sensibilité.

Un petit enfant, quand il a peur, il se cache dans les bras de maman (ou papa). Alors il s’agit de devenir soi-même le parent sécurisant de notre enfant artiste. Pour que notre créativité soit en mesure de s’exprimer, l’artiste en nous doit avoir l’assurance qu’il pourra revenir en lieu sûr et être accueilli, dorloté, aimé tel quel. Un espace où on écoutera les histoires terrifiantes qu’il se raconte sur le monde, où on entendra ce qu’il vit avant de lui expliquer, doucement, qu’il peut aussi voir les choses autrement. Je peux écouter la douleur de mon artiste d’être à peine capable de faire la roue, d’avoir un cours de retard sur les autres ; entendre son aspiration à vivre avec les pirouettes la même aisance qu’elle a avec les mots… Et lui exprimer l’admiration que je ressens quand je vois qu’elle persévère à suivre ses élans, à vivre son authenticité et à la partager avec les autres. Et ce lien d’amour crée la sécurité intérieure qui permet d’aller jouer dans le monde et d’expérimenter l’art et la vie. (Bien sûr, le Censeur est toujours présent – comment composer avec lui fera l’objet d’un autre article et d’un atelier, le 24 octobre – voir le calendrier).

Ça m’arrive chaque fois. Chaque fois que je suis un peu visible, que j’exprime de l’expansion créative par un article, un événement, un spectacle : après, il y a de la contraction. Connaître le phénomène, avoir conscience de ce besoin de sécurité et de soins me permet d’agir en conséquence. Et de continuer à contribuer au monde avec ma créativité.

Si vous avez envie d’expérimenter cet aspect de la créativité, bienvenue à l’atelier du mardi le 17 octobre.

La zone de sécurité pour mieux créer

Mardi 17 octobre
18 h 30 à 20 h 30
Montréal (local à déterminer selon le nombre d’inscriptions – près d’un métro)
30 $ taxes incluses (25 $ si étudiant ou sans emploi)
Pour vous inscrire: virement Interac à info@jacinthelaforte.com ou par chèque ou argent comptant le soir même.

Important: inscription requise avant 18 h la veille de l’atelier.

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Pendant des années, je me suis sentie déchirée.

Comme jeune adulte, j’avais baigné dans l’univers altermondialiste qui plaçait le changement social en haut de l’échelle de valeur. Mais j’étais habitée de grandes souffrances personnelles qui avaient besoin de beaucoup de soins et d’un type d’attention qu’elles ne recevaient dans ce milieu… Alors j’ai passé des années à m’occuper de mon « développement personnel », une expression qui goûtait la honte depuis mon regard « altermondialiste », et, si j’osais y ajouter le qualificatif « spirituel », c’était encore pire… Je me suis donc pratiquement retirée du milieu du changement social, à cause de ce jugement perçu et intériorisé (projeté, au fond).

Et à travers ça, je pratiquais mon art, l’écriture, de mon mieux. Mon art qui sans forcer est naturellement porté sur des questions sociales (mon roman Cité carbone, par exemple!), parce que malgré mon « égoïste » démarche individuelle, le monde continuait de m’interpeller ! Un pied dans la guérison personnelle, un pied dans la création, le coeur tiré vers le changement social, je tentais de coudre une douloureuse courte-pointe avec des points de suture.

Je vis aujourd’hui une immense célébration. La célébration de l’intégration de ces trois aspects : le personnel, l’artistique et le social. Car montrez-moi les frontières ! Elles n’existent pas.

Prendre soin de ce qui se passe en moi, c’est politique : ça me rend plus capable d’interagir avec les autres et, à un moment donné, d’être capable d’intervenir dans ma communauté, dans mon monde. Prendre soin de ce qui se passe en moi, ça me permet de créer. Créer, c’est une contribution à l’évolution du monde, sur les plans personnel et politique, parce que l’art offre un autre regard, nous donne de la distance, de la conscience, de la présence.

Tout le mouvement de l’art communautaire ou art social s’inscrit d’ailleurs dans cette perspective d’ouverture. Inclure dans plusieurs domaines et à toutes sortes de « catégories de personnes » le processus créatif qui, en transformant la matière, nous transforme. La créativité, c’est la force même de la vie et nous gagnons à y revenir, comme individus et comme société !

La démarche Libérez votre créativité  de Julia Cameron allie merveilleusement la guérison et la création.  Et la Communication non violente, nommée ainsi par Marshall Rosenberg pour souligner la parenté de sa démarche avec celle de Gandhi, ajoute aussi l’aspect social : profondément transformatrice au niveau personnel, elle permet une ouverture de la conscience de notre interdépendance et nous donne des moyens d’agir avec les autres et dans le monde d’une façon extrêmement créative.

La courte-pointe n’a pas besoin d’être cousue: c’est un tissu dynamique où tout est déjà relié.

Le tissu de la vie.

On entend généralement par le mot « empathie » le fait de se mettre à la place de l’autre personne, de « marcher dans ses souliers ».

En communication consciente, on précise un peu plus ce qu’on entend par empathie. C’est sur le plan des émotions et des besoins (ou aspirations, motivations profondes), qu’on cherche à voir ce qui se passe pour l’autre. Et pas au niveau de l’histoire qu’il raconte, qui est vraisemblablement la trame de ses interprétations du monde.

Parce que tout comme notre interlocuteur est possiblement « emporté » par son histoire, nous risquons, en nous concentrant sur son récit, de sympathiser avec lui, d’embarquer nous aussi dans ce train. Alors qu’en nous exerçant à une curiosité bienveillante envers les motivations profondes qui s’expriment à travers cette histoire, on revient dans la réalité d’ici et maintenant, là où se trouve le pouvoir de faire des choix pour créer ce qu’on veut vraiment.

Par exemple, quelqu’un me parlait de sa frustration d’attendre une réponse concernant son admissibilité à un programme de formation offert par son employeur. La personne avait plusieurs « chacals » concernant le système qui ne lui donnait pas de renseignements clairs. Un réflexe naturel, c’est de sympathiser, donc de prendre le parti de la personne contre les individus ou les établissements déclencheurs. Ce qui a pour effet de concentrer l’attention de tout le monde sur le déclencheur, qui nous semble alors être la cause du problème, et de nous faire perdre de vue notre pouvoir. J’ai plutôt tenté un petit reflet s’intéressant aux besoins* :

— T’aimerais avoir plus de soutien de la part de ton employeur ?

— Ben non, pas du soutien ! Je veux juste savoir à quoi m’en tenir pour m’inscrire ailleurs pendant qu’il est encore temps, si ça marche pas avec eux !

Et pendant le reste de la conversation, la personne s’est tout naturellement orientée vers la possibilité d’aller se renseigner sur les autres établissements de formation. Ce qu’elle a fait, réalisant qu’elle pouvait s’inscrire ailleurs et annuler son inscription si son employeur lui offrait finalement une formation. Et elle m’a remerciée à deux reprises pour notre conversation « super motivante ».

En d’autres mots, s’intéresser aux besoins dans l’instant présent, ne serait-ce que par notre attention silencieuse, c’est créer de l’espace qui permet à notre interlocuteur de voir plus clair et de pouvoir agir pour répondre à ces aspirations vitales qui criaient à travers l’histoire. C’est notamment en ce sens que c’est “comme de l’oxygène”.

Pour en savoir plus sur la posture empathique proposée par la communication consciente et sur la possibilité de s’offrir à soi-même de l’empathie (autoempathie), bienvenue à cette midi-conférence:

« Comme de l’oxygène ! » Conférence sur l’empathie et l’autoempathie

le mercredi 8 novembre 2017

De 18h30 à 19h30

936, avenue du Mont-Royal Est (coworking Ecto)

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— Je suis vraiment désolée ! Mon réveil n’a pas sonné, et il y avait tellement de travaux que ça que ça m’a pris plus de temps que je pensais, et en plus j’ai eu une crevaison !

Quand je me justifie, est-ce que ça me donne pleine satisfaction ? Explorons la question sous l’angle de la communication consciente.

Le Larousse nous dit que se justifier, c’est « réfuter une allégation, donner des preuves de son innocence ». C’est donc se poser dans un paradigme de culpabilité/innocence, de tort/raison. Une dualité, une lutte desquelles la communication consciente nous invite à sortir.

Si je me justifie d’arriver en retard, qu’est-ce que je recherche au fond ? Quelle émotion et quel besoin sont sous-jacents à mes paroles ? Possiblement que la part de moi qui s’exprime alors se sent désolée, découragée peut-être, ou dépassée, et qu’elle a d’abord et avant tout besoin d’empathie. Et qu’une petite dose d’empathie lui permettrait, à cette part de moi, de voir qu’elle vit peut-être un peu de colère à l’idée de mon agenda si chargé, parce qu’elle a besoin de détente et d’espace pour être, tout simplement.

Ça semble avoir peu de lien avec le réveil qui n’a pas sonné et les travaux qui ont « causé » le retard, n’est-ce pas ? C’est souvent ce qui se passe : le réel besoin peut être en apparence éloigné des circonstances déclencheuses, d’où l’intérêt de se donner de l’autoempathie pour voir clair.

Au fond, la partie de moi qui s’exprime quand je me justifie d’être en retard a peu de chance d’obtenir satisfaction en disant tous ces mots à mon interlocuteur, surtout si ce dernier est en réaction par rapport à mon retard !

D’ailleurs, si je vis de l’inquiétude à l’idée de la réaction de la personne avec qui j’ai un rendez-vous, parce que j’aspire à du respect ou de l’harmonie, ou à quelque chose de l’ordre de la sécurité ou de la confiance, est-ce que je vais obtenir ce que je veux en me justifiant ? C’est drôle : en formulant cela en termes de sentiments et de besoins, je m’éloigne tellement de l’histoire circonstancielle que je ne vois même plus pourquoi je la raconterais !

Mais disons que je n’en suis pas consciente et que je me justifie. J’aurai peut-être une certaine satisfaction de mes besoins si l’autre me dit que ce n’est pas grave, par exemple parce qu’il vient lui-même tout juste d’arriver au point de rendez-vous ! Mais si mon interlocuteur est fâché, une petite dose d’empathie à son égard a plus de chances de nourrir le lien, et du coup la confiance que je recherche, qu’une explication visant à prouver que ce n’est pas de ma faute. Car je ne suis pas la cause de son émotion, je ne suis qu’un déclencheur ! Par exemple :

— Oh, j’arrive avec 20 minutes de retard et je vois que tu as les sourcils froncés. Est-ce que tu es contrarié parce ce que pour toi, si j’étais arrivée à l’heure, ça aurait davantage goûté le respect ?

En peu de mots, j’oriente l’autre personne vers la source de l’émotion désagréable, qui réside dans ses besoins. Je suis peut-être à côté de la plaque ; mon interlocuteur est peut-être plutôt frustré parce qu’il a besoin de soutien, et qu’avoir l’assurance que les ressources auxquelles il fait appel sont bien au rendez-vous, ça contribuerait beaucoup à sa paix d’esprit.

En m’intéressant avec bienveillance à ce qui se passe chez lui, je lui donne de l’empathie qui va permettre de créer de la clarté et de l’ouverture. Et moi, après l’avoir entendu, peut-être en reformulant ce qu’il me dit, je pourrais dire :

— De mon côté, quand je constate mon retard, je me sens découragée parce que j’aspire à me donner de l’espace pour être, tout simplement ; pour respecter mes limites et, en même temps, les autres autour de moi. Comment tu reçois ça ?

Vous voyez que j’enchaîne avec une demande, car la demande (ici de connexion, et qui peut aussi viser la reformulation ou l’action) est un super outil pour favoriser le lien, la clarté et la concrétisation des stratégies qui visent à nous rendre la vie encore plus merveilleuse, comme disait Marshall Rosenberg, le fondateur de la Communication non violente. Selon les contextes, je pourrais aussi « me demander à moi-même », par exemple, de noter dans mon agenda, la veille du prochain rendez-vous avec ce collaborateur, que je prends une soirée de congé tranquille à la maison pour me donner de l’espace et de la détente, favorisant ainsi ma capacité à être à l’heure pour nourrir le lien de confiance, si cela a du sens pour moi.

En terminant, je me dis que nous avons au Québec la croyance que « se sentir mal » amoindrit le « tort qu’on a causé aux autres ». Logique de punition. Et si on adoptait plutôt une logique de responsabilité par la reconnaissance de l’impact de nos actes et la réparation depuis l’élan du cœur ? Il y a là matière à un autre article !

Quand on a quelque chose à exprimer ou à demander à quelqu’un, surtout s’il y a quelques tensions dans l’air, la concision est un atout très précieux. En disant seulement un petit bout de message à la fois, on peut aller vérifier à mesure 1) ce que l’autre a compris de notre message et 2) ce qui se passe chez l’autre, ce que ça lui fait (et s’il a de l’ouverture pour entendre la suite).

La demande de reformulation

— Pour être certaine que j’ai bien réussi à exprimer ce que j’essayais de dire, j’aimerais bien que tu me dises dans tes mots ce que tu as entendu… Accepterais-tu de le faire ?

Demander à notre interlocuteur de reformuler ce qu’il a compris est une pratique (peu habituelle, je l’admets) qui présente beaucoup d’avantages : on s’assure ainsi qu’on parle bien de la même chose, et on peut se réaligner si l’autre a perçu ce qu’on cherchait à cacher plutôt que ce qu’on souhaitait vraiment dire…

Je veux dire par là qu’il arrive souvent que sans en être conscient, on ait encore un « chacal » qui a besoin d’empathie. Alors même si on dit de beaux mots, ce qui passe, c’est l’accusation que porte cette partie de nous qui prend le dessus malgré nous. Par exemple, je pourrais dire à une personne avec qui j’habite :

— Je me sens mal à l’aise quand je vois la vaisselle sale sur le comptoir depuis hier matin parce que j’ai besoin de paix d’esprit.

Donc, si j’arrête après ce petit bout pour lui demander de reformuler ce qu’elle a entendu, il y a de bonnes chances qu’elle me dise quelque chose comme :

– J’ai entendu que tu es frustrée à cause de la vaisselle !

Le « besoin de paix d’esprit » que je nommais n’a pas passé, mais plutôt mon reproche qui implique que l’autre personne est la cause de ma colère. De toute évidence, je n’ai pas touché à mon besoin, parce que quand j’y touche vraiment, la tension s’apaise et je peux offrir à l’autre le trésor de ma prise de conscience sans l’accuser de quoi que ce soit. Donc, j’ai encore besoin d’empathie, et le fait d’entendre l’autre me reformuler dans ses mots ce que je lui ai dit, ça m’en donne déjà un peu.

Un cran plus honnête

En recevant de l’empathie (et ma capacité d’empathie, comme celle de mon interlocuteur, varie beaucoup selon les moments), je peux espérer devenir un peu moins identifiée à mon chacal qui croit encore profondément que l’autre a objectivement et simplement tort, et faire une expression un cran plus honnête :

— Oui, c’est vrai que je suis frustrée. Et quand je vois dans quel état de colère je me mets par rapport à la vaisselle, je me sens assez découragée. Au fond, j’ai vraiment besoin d’empathie.

Plus vulnérable aussi, n’est-ce pas ? C’est dans cet espace de vulnérabilité qu’on a une chance de se rejoindre avant de parler de solutions concrètes, avant de faire des ententes qui tiendront en compte les besoins des deux personnes.

La demande de connexion

Je gagne à garder ça bref et à aller voir, grâce à ce qu’on appelle en CNV une « demande de connexion », ce qui se passe chez l’autre quand elle entend ça, pour faire de la place à ses sentiments et à ses besoins :

— Ça te fait quoi, quand tu entends ça ?

Et là, je prépare mes oreilles de girafe, parce que l’autre peut être touchée et ouverte (car nourrie dans son besoin de connexion, par exemple), comme elle peut être déclenchée et vivre une réaction de type « émotion désagréable » (ayant elle-même besoin d’empathie). Je respire, je fais de mon mieux pour rester présente et faire appel à la curiosité bienveillante pour me relier aux émotions et aux besoins de l’autre.

Je ne suis pas pour le moment une ceinture noire en CNV. Ça prend souvent plusieurs allers-retours pour arriver à connecter vraiment. Et c’est dans cette danse, en m’exerçant à utiliser mes oreilles de girafe vers moi et vers l’autre, que le lien peut se construire, dans l’humilité de cette authenticité encore maladroite et teintée de chacals déguisés en girafes. Peu de mots à la fois, pour me réaligner à mesure et m’assurer que je danse bien avec l’autre.

Car voilà la conscience à laquelle nous invite la Communication non violente, celle de notre interdépendance : la satisfaction de mes besoins sera plus complète si ceux de mon interlocuteur sont aussi pris en compte.

(2e article d’une série sur les avantages de la concision)

La première question à se poser lorsqu’on veut faire consciemment usage de la parole, particulièrement lorsqu’il y a une certaine charge émotionnelle en nous : « Quelle est mon intention? »

Si la réponse qui monte spontanément ressemble à : « Mon intention est de lui faire comprendre qu’il a tort! » ou « De lui faire savoir ma façon de penser! », il serait probablement favorable de me donner un peu d’empathie avant d’avoir un échange avec la personne concernée (bientôt un autre article sur des manières concrètes de le faire). Car au-delà de l’enjeu immédiat de mon insatisfaction, qu’est-ce que je veux vraiment? Les questions suivantes peuvent aider à déterminer mon intention :

Quelles qualités je veux retrouver dans mes relations ?

Quelles valeurs je veux  incarner?

Quelle saveur je veux donner à ma journée?

Une intention peut être résumée en un mot. Par exemple, je peux vouloir vivre de la confiance dans mes relations; vouloir incarner une valeur de respect; vouloir que ma journée se déroule dans la bonne humeur.

Confiance, respect, bonne humeur. Le simple fait de me relier mentalement à mon intention a un impact direct sur la suite de mes actions et de mes paroles. C’est selon moi là que commence réellement notre liberté.  La psychologie évolutionniste et les neurosciences nous expliquent désormais que c’est une façon de court-circuiter les réactions instinctives des structures anciennes de notre cerveau, conçues pour réagir rapidement aux menaces afin d’assurer notre survie. Nous relier à notre intention, c’est faire appel à un niveau d’intelligence plus récent, capable de nuances et d’adaptation.

Donc, si je suis au clair avec mon intention de confiance, de respect, de calme, je peux mobiliser mon énergie pour agir en conséquence, en commençant par respirer plus profondément pour me calmer et ensuite déterminer quels mots pourront établir des conditions gagnantes pour avoir ce que je veux vraiment.

La semaine prochaine : parler de façon concise pour être en mesure de vérifier l’impact chez notre interlocuteur.

Mes formateurs québécois de Communication Non Violente, qui ont personnellement étudié avec Marshall Rosenberg, le créateur du modèle, rapportent que ce dernier recommandait de limiter ses interventions à 40 mots.

40 mots !

Les avantages de la concision sont nombreux. Par exemple, parler brièvement :
1. Demande de ralentir pour revenir à notre intention, à ce qu’on veut vraiment ;
2. Permet de vérifier à mesure ce qui se passe chez notre interlocuteur pour s’assurer que la connexion est maintenue ;
3. Permet d’éviter la justification ;
4. Favorise des conversations où il y a de l’espace pour être, grâce au silence ;
5. Favorise la « parole émergente ».
6. Permet de voir ce qui sonne faux, là où on n’est pas 100 % honnête avec soi-même (ce que notre interlocuteur va percevoir d’une façon ou d’une autre).

Être concis, c’est communiquer le zeste de ce qu’on a à dire, l’essentiel!

J’explorerai ces différents avantages de la concision au cours des prochains articles.

Cela étant dit, tout est une question de contexte. Parler plus longuement peut être une stratégie efficace pour donner de l’empathie à nos « chacals », ces parties de nous qui sont chargées d’émotion et se manifestent par des voix dans notre tête qui ont généralement de nombreux mots à exprimer. Leurs histoires sont très importantes, puisqu’elles parlent de nos besoins. Les chacals ont besoin d’empathie, ils se calment quand on entend quels besoins les font crier (voir article sur les « chacals »).

Je suis personnellement une adepte de raconter sans censure ce qui m’habite, à une oreille empathique et, surtout, consentante ! (Je reviendrai dans un autre article sur les demandes claires d’empathie). Ouf, ça me donne vraiment de l’espace, du soutien pour retrouver la paix d’esprit.

Seulement, il y a des circonstances où laisser s’exprimer nos chacals ne crée pas le genre de lien qu’on veut avec les autres et avec soi-même. Comme lorsqu’une situation est tendue avec quelqu’un, ou qu’on veut faire une proposition dans une réunion ou une demande à un collègue, un patron, un employé. C’est là que l’exercice du choix conscient des paroles qu’on exprime peut faire toute une différence et nous donner plus de chance d’obtenir ce qu’on veut vraiment.

À suivre dans le prochain article qui portera sur l’intention !

On peut parfois trouver difficile de prendre le temps de se donner de l’empathie, que ce soit en demandant de l’écoute à quelqu’un ou en se donnant soi-même de l’autoempathie, par exemple avec une marelle CNV* ou en écrivant dans son journal personnel.

Mais c’est un peu comme si on constatait que notre maison était pleine de grognements effrayants, de meubles mâchouillés, de désordre et même d’odeurs nauséabondes… Et qu’on nous apprenait qu’en fait, la raison en est une bande de chacals qui habite avec nous depuis des années, sans qu’on s’en soit rendu compte, et que s’en débarrasser ne faisait pas partie des possibilités ! Je crois qu’on trouverait le temps de s’occuper de leurs besoins afin que l’environnement devienne plus paisible, plus agréable à vivre.

C’est exactement ce qui se passe dans notre « maison intérieure ». Les « chacals », ces parties de nous qui expriment leurs besoins en manque notamment sous forme de jugements et de répétition en boucle de leurs histoires douloureuses, font leurs ravages tant qu’ils n’ont pas reçu de l’empathie pour leurs besoins.

L’autoempathie, c’est comme le brossage des dents.De l’hygiène de base pour la santé émotionnelle et relationnelle.

Alors, petits chacals, pâte à dents à la menthe ou à la gomme balloune ?

 

* Une marelle CNV est un outil qui aide à se donner de l’autoempathie en distinguant les différents phénomènes intérieurs : on dispose par terre une série de feuilles sur chacune desquelles est écrit un mot (par exemple : intention, présence, faits, pensées, sentiments, besoins, demande). On énonce à voix haute ce qui se passe en nous en se déplaçant d’une feuille à l’autre. Cela aide à appeler un chacal (les pensées, jugements, etc.), un chacal !